Le pluralisme !
Il y a une particularité de François Bayrou que j’adore, c’est son sens des nuances et sa recherche minutieuse, méticuleuse, scrupuleuse presque, dans le choix et l’emploi de chacun des termes de ses écrits. C’est une caractéristique que j’essaye, ou que "je m’efforce" en tout cas d’appliquer, et qui me réjouit à chaque fois que je la décèle chez des auteurs ou des journalistes aussi talentueux que lui. Au-delà des idées, j’aime bien les écrits originaux, percutants et parfois flamboyants de Philippe Bilger, Jean-Paul Brighelli, Bernard Pivot, ma copine Agnès Maillard ou mes amis journalistes tels Joël Aubert, Bruno Dive et Jean-François Bège notamment…
Personnellement, étant lectrice compulsive, ce qui me remplit d’allégresse la plupart du temps, rarement de honte, c’est de découvrir des mots de la langue française que je ne connaissais pas encore.
Aussi lorsque François Bayrou a parlé "d’incorporation" dans son livre "Résolution française" au sujet de l’accueil des immigrés -plutôt que "d’intégration" ou "d’assimilation"-, je me suis sentie investie d’une mission : puisque le mot m’apparaissait à moi génial, c’était aussi à moi d’expliquer pourquoi je le pensais tout à fait approprié, parfaitement adapté à notre pays construit de multiples apports culturels.
Il me semble que j’ai trouvé une image ou plutôt un symbole qui réussira à mieux faire comprendre la subtile différence entre ces trois acceptions. Bien sûr je ne suis pas Boileau*, ni agrégée de Lettres, ni lauréate d’un quelconque prix du mérite mais je suis par contre -et ça je le revendique avec fierté- une véritable "experte ès vie réelle" ! Ce qui m’autorise, n’est-ce pas, à donner …quelques leçons de cuisine.
* ("Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément.")
Imaginons donc que nous comparions notre pays, la France, à un merveilleux et immense laboratoire de pâtisserie.
Et dans ce laboratoire chaque ingrédient prendrait tour à tour la parole :
- Je suis le meilleur, dit le sucre et par conséquent sans moi pas de délice ! Sans moi la vie ne serait pas drôle. Elle manquerait de douceur, de réconfort et de chaleur.
- Non, c’est moi la meilleure, dit la farine ! Le sucre tout seul ne fait pas le gâteau et au bout de deux cuillerées, il vous lasserait, vous gaverait et même vous dégoûterait. Je suis née du soleil dans les champs de blé. Je vous apporte la consistance et la stabilité.
- C’est faux, répliqua le sel ! C’est moi le maître dans cette cuisine. Une seule petite pincée, et votre recette en est transfigurée… Je suis l’unique ingrédient à me faire remarquer par mon absence !
- Absolument pas, coupa l’eau ! Je suis "la vie-même" : sans moi vous mourriez et vous n’auriez pas pris corps. D’ailleurs, sans moi personne ici n’existerait !
- Dans ce cas c’est moi le plus indispensable, dit le lait ! Je suis le seul qui vous nourrit de la naissance à la mort. De moi est tiré la crème ou le beurre : je suis le seul nécessaire ! Sans sucre, sans sel, sans farine je vous maintiens tous en vie !
- Ne m’oubliez pas, cria l’œuf ! Qui de la poule ou de l’œuf est né le premier, hein ?! Qui parmi vous est capable de se scinder en deux comme moi et de vous offrir ce que vous préférez ? Je suis le plus généreux et le plus imaginatif !
- Question imagination, personne ne me vaut, s’écria le chocolat ! Connaissez-vous le nombre de spécialités qui se revendiquent de moi ? Il existe même des confréries depuis ma naissance qui ne cessent de me porter aux plus hautes distinctions.
- Eh, oh ! Ne la ramenez pas, dit la fraise. C’est moi la plus belle ici !
- Non c’est moi, sourit la cerise ! Je suis capable de couronner un gâteau à moi toute seule !
- Il est certain que je suis très utile moi aussi, répondit la levure. Sans moi pas de pain, pas de brioche, pas de madeleines, pas de …
- Oui mais sans moi vous n’auriez aucune distinction, lui susurra doucement la vanille. J’amène de l’exotisme et du panache, moi !
- Sublimé par dix avec moi, rappela le rhum d’une voix chantante !...
Tous se tournèrent alors vers le chef et supplièrent :
- François Bayrou, dites nous enfin qui est le meilleur d’entre nous ?!!
Le chef les regarda tour à tour, sourit… et se tourna alors vers son apprenti :
- Tu vois, Emmanuel, tu commences par lister tout ce qui se trouve dans notre immense cuisine et "en même temps" tu choisis ta recette du jour. Ne te contente pas, gamin, de casser des œufs et de les intégrer (de les mélanger ou de les écrabouiller !) au fouet en laissant les coquilles. Il faut délicatement et respectueusement choisir tes œufs : selon la couleur de la coquille, tu sauras de quelle provenance, de quel élevage, ils viennent ; cela a son importance tu sais, pour le goût unique que tu veux donner. Ensuite tu rajouteras si besoin -au milligramme près, selon ta recette- de la farine blanche ou rousse. Bio ou pas. Oui, tiens, plutôt bio… Tu mesureras le sucre bien entendu. Préfèreras-tu le raffiné ou la cassonade pour sa couleur bronzée ? Ne commence surtout pas sans savoir la température du four, que tu devras programmer avec méthode. C’est la loi ! Trop chaud, tu brûles ton coup, trop froid et trop long ce sera peut-être un soufflé qui retombera sitôt gonflé...
Non, prends le temps d’observer ceux qui ont fait les meilleures recettes. Ne t’assimile pas trop vite aux autres chefs toutefois : ils auraient tôt fait de te faire disparaître dans la masse des chefaillons qui se croient arrivés dans les étoiles, alors qu’ils stagnent toujours dans les souillardes !
Ce que tu dois faire, mon grand, c’est incorporer adroitement chaque ingrédient dans l’ordre, avec attention, avec empathie, en le nommant : oui, en lui disant des mots d’amour ! Il ne s’agit pas de le flatter bien sûr mais de lui reconnaître ses qualités à nulles autres pareilles. C’est ça un chef, dit François Bayrou ! Du dosage précis de chacun, de l’apport de telle ou telle particularité, tu auras un magnifique résultat. Ou pas. Allez, je te laisse le laboratoire : il est à toi maintenant ! Et n’oublie surtout pas le sel : ni trop peu, ni trop…
Sur ces mots, le patron du MoDem s’éclipsa, content de lui ma foi. Sans oublier de vérifier toutefois -par le trou de la serrure- que le nouveau chef avait bien assimilé… ah non pardon, "incorporé", sa propre recette sur la carte du jour.
Il sut plus tard qu’elle s’intitulait : "le pluralisme" !
Françoise Boulanger
Malicieuse militante du MoDem
Petite "apprentie" au centre de sa ville, de sa région et de son pays !
Annexe :
Extrait du livre "Résolution française" de François Bayrou :
Pages 127-128 :
« (…) Cette concentration dans un contexte de tensions culturelles et sociales fait fuir les familles qui ne se sentent plus chez elles y compris les plus volontaires et les plus dévouées. C’est un mal.
Mais elle est également néfaste pour les enfants originaires de ces quartiers désormais ghettoïsés : ils ne connaîtront plus autre chose que la langue du quartier que son accent, que ses manières d’être. Eux-mêmes seront de fait cruellement privés du pluralisme qui fait vivre. Et sortis du quartier, ils se sentiront immanquablement discriminés.
►La question de l’intégration, c’est donc la question de l’équilibre des populations.◄
Comment a-t-on pu concentrer une politique aussi lourde en investissements sur les murs et le béton et oublier à ce point les réalités humaines ? Il y a longtemps pourtant que nous savons que les seuls édifices qui comptent sont bâtis "de pierre vive, ce sont hommes".
On parle "d’intégration". D’autres, pour aller plus loin, exigent "l’assimilation". Mais l’assimilation supposerait que l’on renonce à ce qu’on est, à sa propre histoire. Et personne ne s’y résoudra. Les Béarnais de Californie et d’Argentine, les basques du Chili, n’ont pas oublié qui ils étaient et d’oùù ils venaient… Et les pieds-noirs avec leur chagrin de déracinés qui ne s’éteindra pas ne l’ont pas oublié non plus.
►►Le vrai mot devrait être "incorporation". On vient avec son histoire, avec ses souvenirs, parfois avec l’idée d’un retour, le jour venu, avec le rêve de la maison que l’on fera construire un jour là-bas. Mais on fait l’effort de devenir pleinement membre de la nouvelle cité, du pays dont on devient citoyen et qui est un pays avec sa propre histoire, sa propre culture, ses propres coutumes, ses propres valeurs et modes de vie.
C’est pourquoi il n’y aura de véritable politique de renouvellement urbain que si elle s’adresse aux gens et pas seulement aux bâtiments. La clé d’une politique de renouvellement urbain par l’humain c’est la mixité. La mixité des milieux sociaux, des familles, et je n’hésite pas à l’écrire la mixité des origines et des cultures, avec l’objectif que soit respecté le caractère propre de la société française à laquelle tous doivent se voir incorporés. »